Des applaudissements à n’en plus finir. D’ailleurs, au bout de quelques minutes, on n’a plus vraiment l’impression qu’il s’agit d’applaudissements. C’est un bruit continu, indescriptible, entre le froissement simultané de centaines de feuilles de papier et le travail de cuisson d’une friteuse géante.
Marie semblait tendue, assise à l’arrière du taxi. Elle s’en fichait bien que le chauffeur remarque sa nervosité mais elle s’efforçait tout de même de la cacher, pour se prouver qu’elle était capable de se contrôler. En vain.
Sa décision, elle l’avait longuement réfléchie. Elle avait essayé d’imaginer ce qu’aurait été sa vie en faisant l’un ou l’autre des deux choix qui s’offraient (ou s’imposaient ?) à elle : rejoindre Jacques ou le quitter définitivement ?
« Bravo ! » Ces cris, qu’il était bien incapable de localiser exactement, fusaient au milieu de ce concert de mains s’entre-choquant.
Toute la troupe de comédiens était alignée sur le devant de la scène. Pourtant, aujourd’hui, Jacques s’autorisait à penser que c’était plus particulièrement à lui que s’adressaient ces félicitations. Il l’avait annoncé : la dernière représentation de ce soir était aussi sa dernière apparition sur scène.
Le taxi s’arrêta devant le terminal. Marie récupéra sa valise et s’engouffra entre les portes coulissantes de l’aéroport. Elle avait bien vu ses mains trembler en donnant sa confirmation de vol et son passeport à l’hôtesse derrière le comptoir. Enregistrement, bagages, portiques de sécurité, porte d’embarquement… Elle laissait maintenant les étapes s’enchaîner et les porter vers son destin. Dans la salle d’attente, une larme apparut sous ses lunettes et glissa sous sa joue.
C’était du luxe à notre époque de prendre sa retraite avant 60 ans. Un luxe qu’une carrière riche permettait à Jacques de s’offrir et dont il profiterait en compagnie de Marie. Elle lui avait annoncé qu’elle le rejoindrait ici, à Paris, ce soir et pour Jacques il n’e pouvait y avoir plus heureux événement pour commencer une autre vie. Alors, ces applaudissements, il les savourait. Mais il avait hâte de pouvoir s’échapper.
Elle prit place à son siège, le 24C. Perdue dans ses pensées, elle ne voyait ni n’entendait les autres passagers s’installer autour d’elle.
La voix du commandant de bord la fit sursauter : « Bienvenue à bord de ce vol à destination de Madrid… » Il venait de lui rappeler sa décision, c’était la première fois qu’elle l’entendait prononcée par quelqu’un. Marie savait qu’elle allait blesser, mais c’était la seule solution qu’elle avait trouvé pour avancer.
Le rideau se referma finalement. Jacques prit le temps d’embrasser chacun de ses partenaires et de les remercier pour ce qu’ils avaient partagé ensemble.
Puis il se précipita jusqu’à sa loge. Il ne pensait plus qu’aux retrouvailles qui se rapprochaient. Il prit son téléphone portable dans la poche de sa veste pour vérifier si Marie lui avait laissé un message. Il y en avait un.