Garder les yeux ouverts

Réveil. Penser à changer cette sonnerie. Il doit y en avoir des dizaines différentes dans mon portable, certaines quasiment mélodieuses, et j’ai choisi celle qui donne autant envie de se lever que de se mettre au garde à vous pour la Marseillaise chantée par Mireille Matthieu. Il faudra que je m’interroge sur cette tendance matinale au masochisme. Douche. Il m’arrive souvent de me demander comment je suis arrivé jusqu’ici. C’est comme un second réveil, mais le vrai cette fois-ci, définitif. Oui c’est ça, le premier met en marche mon corps, machinalement. Le suivant s’occupe de mon moi intérieur, celui qui a une conscience – ou essaye d’en avoir une. Les gouttes sortent de la pomme de douche et viennent s’écraser sur ma peau comme on frappe à une porte, alors je sors de ma léthargie et j’ouvre. Ce matin, je fais un pas de plus dans ma réflexion – comme quoi. Je comprends désormais qui sont tous ces gens que l’on croise la journée et qui ont constamment l’air de zombies, mal réveillés : ce sont ceux qui prennent leur douche le soir, pas le matin, ceux qui ont le corps ON et l’esprit OFF. J’espère au moins que leurs soirées sont actives… Fenêtre. Mon premier contact avec le monde extérieur est très progressif et se fait à mesure que je relève le volet roulant. Effet deux en un, je fais entrer la lumière et je fais mon sport en même temps. Du moins celui de mon biceps droit qui s’excite sur cette manivelle qui m’est toujours apparue d’un autre temps. Les volets électriques ont ceci de positif qu’ils ont rendu tout un tas de gens moins ridicules dans leur gestuelle de début et de fin de journée. Quelque chose a changé dans la cour de mon immeuble ce matin et il me faut quelques secondes pour comprendre qu’ils n’ont pas refait la déco dans la nuit mais qu’une bonne couche de neige est tombée. Ça lui va plutôt bien à ma cour. Café. L’observation du dehors en détermine la dose. Beau temps : petit café. Froid : grand café. Je vais peut-être avaler un thermos ce matin… Sur i-Télé, la neige semble être l’événement de la décennie. Ça doit bien faire dix minutes qu’ils sont là-dessus. La déclinaison des sujets autour de ces quelques flocons me fascine : difficultés de circulation, séquence bêtisier avec des piétons qui chutent, la polémique redondante « pouvait-on prévoir » accompagnée du non moins célèbre « que font les pouvoirs publics »… Et dans tous les cas, on grogne. Ceux qui se plaignent de la routine sont les mêmes qui râlent quand un événement change un tant soit peu leur quotidien. Dehors. Moi j’aime bien. Ceux qui ont la chance de ne pas se ramasser sur le trottoir marchent tous comme des pingouins. Si demain les conditions sont les mêmes, je tourne un documentaire. A l’époque de Vidéo Gag, j’aurais même pu prétendre aux 10.000 Francs. Allez, je me contenterai de 120 vues sur YouTube. Et ce matin, ce paysage m’ira très bien, à la fois connu et nouveau. La ville, tu ne la regardes plus quand tu y vis, sauf quand on te propose de la voir autrement. Alors aujourd’hui, je ne râlerai pas et je garderai les yeux ouverts.
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