Libidown
Cette phrase de Nathalie Petrowski « La proximité installe, à la longue, une étrange distance. » dans Il restera toujours le Nébraska l’avait heurté. Il voulait lutter pour combattre cette idée.
Il se connecte sur ce site comme il se serait accroché à une bouée de sauvetage. Il ne voyait plus d’issue, et là, en couchant les mots qui l’obsédaient, il regagnait, difficilement, un point d’espoir, dans le jeu qu’il se refusait encore de perdre.
Alors sur ce forum, il ose. L’anonymat le protège et il parle de Lui et d’elle aussi, de ce qu’il ressent, de ces doutes et cette peine qui le rongent, de celle qu’il aime et ne comprend plus.
Il ne se souvient plus très bien comment tout cela a commencé. Un long billet, il voulait tout dire, tout raconter. Tout jeter dans l’exutoire numérique. Cherchait-il une réponse, un soutien ? Il ne le sait plus, mais il ne s’attendait pas à ça.
Elle était venue lire ce site un peu par hasard, au détour d’une recherche. Elle ne se demandait pas vraiment si d’autres vivaient la même chose, elle savait que c’était le cas, et trouvait ça, somme toute, assez normal. Elle ne cherchait pas non plus de remède miracle. Juste se sentir un peu moins seule et peut être même dire enfin sa vérité, pour une fois, ni travestie, ni édulcorée.
Il avait écrit pour expliquer sa souffrance de se sentir rejeté. Il adorait sa femme et la désirait terriblement, toujours autant. Mais elle n’avait plus envie. Elle lui disait qu’elle n’y pensait pas, que ça ne servait à rien, qu’elle n’en avait pas besoin. Elle lui disait que ça n’avait rien avoir avec l’amour. Elle lui disait que leur vie était belle. De mois en mois, il avait vu, impuissant, le fossé se creuser. Le lit conjugal devenait champs de tension et de conflit. Chaque rapport n’était plus que ça justement, un rapport, quémandé et contraint. Toujours bien au final certes, mais pas de jeu, plus de partie de jambe en l’air, ni de sexe débridé, de la jouissance mais pas de joie. Il devait négocier le droit de la toucher, elle se laissait faire parfois, cédant sous la supplique, mais sans entrain. Cela faisait déjà longtemps et pourtant, pourtant, il ne voulait pas lâcher prise, pas abandonner son idée du couple, son idéal, bien loin de ces nuits mornes.
Elle était rapidement tombée sur ce message, celui d’un homme à sa grande surprise. Il y parlait de ses nuits à Elle, mais vu de l’autre coté du lit. C’était étrange, comme un miroir, ou une sonde, cet inconnu lui décryptait les pensées de son homme. Avec réalisme, simplement. Elle ne pouvait pas aborder la question et parler ouvertement, si sereinement, avec le sien, d’homme. Chaque fois, le sujet les crispait, les rendaient irritables, voir agressifs. Chacun se refusant à comprendre et se complaisant dans les reproches faciles, échappatoires naturels à toute remise en question. Il faut dire qu’immanquablement, ils en parlaient en pleine colère et frustration…
Il parle de tout, de son amour, de ses doutes, de sa perte de confiance, de faire face, nuit après nuit, au dos endormi, elle, recroquevillée dans son coté du lit, de sa peine lorsqu’il sent le corps de sa femme se raidir, par défiance, si jamais sa main s’aventure, de son manque, de sa solitude, de ses efforts, de son besoin de retrouver ses caresses, de se sentir désirer.
Elle répond. C’est si facile de parler à cet inconnu. Dire les mots qui blessent, expliquer son corps, décrire ses stratagèmes et sa fuite, raconter sa douleur et sa rage lorsqu’il s’approche, parce qu’elle sait ce qu’il veut, qu’elle ne peut pas lui donner, qu’il ne comprend pas, et qu’encore, ils vont souffrir. Elle parle de sa tristesse, de son incapacité à changer. Elle dit que tout va bien dans son couple, à part ça et qu’Elle lui en veut de ne pas accepter la situation sans en faire un drame. Elle admet, enfin, sans artifice, son dégout, son sentiment de viol et sa détresse, parce qu’ici Elle ne risque pas d’abîmer à jamais l’homme qu’elle aime et sa vie.
Et Lui, et Elle, se parlent et se comprennent. Pas de tabou, pas de craintes, pas de conséquences. De reply en reply l’espace du forum en devient étriqué, Ils se connectent ailleurs, et derrière leurs claviers, n’en finissent plus de dire à l’autre ce qu’ils s’avouaient à peine. Et Ils dévient, se racontent eux, leurs vies, leurs espoirs, leurs goûts, leurs envies. Et Ils se découvrent. Ils s’étonnent et s’amusent de ce hasard qui les a réunis dans les méandres d’Internet. Ils se confient le plaisir simple qu’Ils ont à se retrouver, Ils sourient, toujours, et chaque jour plus encore, devant leur écran. Bientôt leurs échanges leur deviennent indispensables, nécessaires. Ils se cherchent, Ils s’attendent, Ils se rejoignent. Ils se sentent si proches. Tout est si naturel, évident. Bientôt le besoin et le manque, viscéral. Bientôt la dépendance. Et la question : Se voir ?