Quand tu ne décroches pas
J’ai cette image incrustée dans mon esprit. Tes longs cheveux blonds noués au creux de sa main. Il caresse ta tête tendrement et ils emprisonnent ses doigts, captifs de ton charme comme de tes boucles dorées. Tu ne décroches pas et j’en souffre.
Cette douleur me fait vaciller. Ce coup dans l’estomac, j’en tombe à genoux. Mon ventre ouvert laisse déverser ses grasses entrailles sur le sol. Je pleure et me tords de douleur. Mon souffle se fait court quand j’essaie de prononcer ton nom mais je suis étourdi, transporté dans d’autres abîmes par la douleur que tu m’infliges.
Je souffre quand tu ne décroches pas.
J’en tuerais l’opératrice dont le timbre de voix résonne dans mon esprit. Sa compassion a laissé, je le pense, place à des rires étouffés quand je demande à te joindre. Que pense-t-elle quand je demande à être connecté à ton poste? A-t-elle pitié de la misère dans laquelle je me vautre si confortablement ou garde-t-elle comme moi, enfoui au plus profond de son cœur, le même espoir que je nourris vainement.
Se figure-t-elle seulement que peu importent le ridicule et les souffrances, je continuerai ? A-t-elle pris conscience que mon dessein n’était pas de te séduire mais seulement de te faire prendre conscience de l’amour que je te porte ? Peu m’importe d’être rejeté, mais il n’est pas concevable que ce soit avant que je t’aie livré tout ce que j’ai à t’avouer.
J’accepterai ta décision mais s’il te plait, ne la prends qu’en connaissance de cause. Laisse-moi auparavant une chance de te parler. Composer ton numéro sur le cadran est devenu ma symphonie quotidienne. Le ballet du cercle de plastique tournant sous le poids de mes doigts m’est désormais si familier qu’il en devient mécanique là où quelques semaines auparavant, il était encore fébrile et enjoué.
Je serai hésitant, ma voix tremblera, mes mots seront maladroits et mon cœur battra sans doute tellement vite qu’il me donnera la nausée mais je t’en prie, décroche.